D769 : l’ADEC dépose un recours

Monsieur le Préfet,

Vous avez signé le 27 avril dernier un arrêté portant autorisation de déboisement ainsi que de travaux sur les ruisseaux et en zone humide en vue d’une mise à 2×2 voies de la D769 sur la commune de Caudan.

Nous formulons un recours gracieux contre cet arrêté.

Le projet est destructeur pour l’environnement

La « demande de dérogation  pour la destruction d’individus et de milieux particuliers », concerne 56 espèces de faune et de flore protégées . Nous nous inquiétons de voir des obligations légales non respectées, telle la protection d’une espèce comme la libellule Agrion de mercure, qui figure pourtant à l’inventaire breton des protections maximum en zone dite ZNIEF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique).

L’’analyse du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), résume ainsi les impacts potentiels du projet : « 15,5 ha de milieux naturels impactés, dont 3,77 de boisement, 1,4ha de zones humides, 1186 m de cours d’eau (avec une rectification sur 1km), 2400m de haies… provoquant un effet de fragmentation dans un corridor remarquable. »

Le projet va à l’encontre des objectifs climatiques

Lors de l’enquête publique de 2019, nous écrivions que le projet était en contradiction avec les objectifs de la transition écologique : « Alors qu’on proclame partout qu’il faut limiter l’artificialisation des sols, l’usage de la voiture et l’étalement urbain, le projet amènera des conséquences inverses. Il est en effet vraisemblable que la mise à 2×2 voies de la D769 encouragera l’utilisation de la voiture, amènera un surcroît de population dans les communes plus au nord (Plouay, Calan, etc.), générera une augmentation du trafic. Alors que partout la biodiversité est menacée, que le maintien d’espaces naturels et agricoles est nécessaire, le projet porte en lui de nouvelles destructions. »

L’accentuation du dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la crise actuelle de l’énergie, les objectifs proclamés de sobriété rendent ce projet encore plus néfaste.

Selon l’étude d’impact (p.176) « la situation à terme se traduira par une augmentation forte du coût de l’effet de serre en raison (…) de l’évolution des trafics. (…) La consommation énergétique est plus importante avec le projet (+28%). La réalisation du projet va entraîner une augmentation de la consommation énergétique, principalement liée à l’augmentation de la vitesse autorisée sur la RD769 passant de 90km/h à 110km/h. » Que dire d’un projet dont on nous dit qu’il aboutira à une augmentation des gaz à effet de serre au moment où il est impératif de les réduire ? D’un projet qui fera monter la consommation énergétique quand on appelle tous les jours à la diminuer ?

Le projet va à l’encontre de l’objectif Zéro Artificialisation Nette

Cette destruction de sols naturels s’ajoute aux 4 000 hectares perdus dans le pays de Lorient depuis 1968, dont 2400 entre 2000 et 2010. Elle tourne ainsi le dos à l’objectif de « zéro artificialisation » des sols pourtant considéré comme indispensable dans le plan national « biodiversité » de juillet 2018 et la loi « Climat et résilience » de 2011.

Des mesures compensatoires illusoires, voire absurdes

La re-création d’une zone humide à Kerustantin est aléatoire. Enlever des remblais des années 1980-90 permettra-t-il de re-créer une zone humide, décidée au vu d’une vieille photographie mais dont les riverains contestent l’existence passée ? Dans combien de temps, cette zone humide reconstituée compensera-t-elle en termes de richesse biologique et de fonctions les zones humides détruites ?

L’avis du CNPN relève que « la plupart des haies compensées se feront sur les abords de la route doublée, alors qu’il faudrait étoiler davantage le réseau de haies pour éloigner les espèces de la D769. (…) Pour les haies dont certaines avec arbres centenaires, ce n’est pas la plantation à l’année zéro qui va permettre de restaurer la faune qui les occupera dans 30 ou 40 ans minimum. »

Déboiser à Caudan ne peut en aucun cas être compensé par un reboisement à Langonnet : la commune est trop éloignée, dans un autre bassin-versant ; l’essentiel du boisement ers prévu pour une production de bois d’œuvre, ce qui sous-tend une variété d’espèces végétales réduite ne permettant pas de compenser la perte de biodiversité.

Alors qu’il y a eu recherche et évaluation de plusieurs sites sur la commune pour compenser la perte de zones humides, aucune recherche ne semble avoir été faite sur la commune pour trouver des terrains à reboiser, en dehors des délaissés liés au projet.

Plus globalement, des scientifiques du Muséum d’Histoire Naturelle remettaient récemment en cause l’efficacité des compensations telles qu’elles sont conçues et concluaient que « dans 80% des cas, l’objectif n’est pas atteint ». Pourtant, rappellent-ils, « la loi de 2016 sur la biodiversité dit que, si la compensation n’est pas satisfaisante, le projet ne peut être réalisé en l’état ».

La pollution atmosphérique continue à ne pas être prise en compte.

Il est dit dans l’enquête publique

– qu’elle va augmenter : « Les effets du projet sur la qualité de l’air sont liés à l’émission des polluants atmosphériques par les circulations routières. Les effets sont donc proportionnels à l’augmentation des trafics routiers induits par le projet. » (étude d’impact p. 165)

– que les risques sont avérés (étude d’impact, p.182) :

Pour autant,

– aucune mesure de pollution n’a été faite dans l’étude d’impact

– le projet n’inclut aucune mesure contre la pollution atmosphérique : « Plusieurs types d’actions peuvent être envisagés pour limiter, à proximité d’une voie donnée, la pollution. Dans le cas présent, le projet n’intègre pas de mesures spécifiques. » (étude d’impact, p.183) Ainsi, des solutions existeraient, mais on ne les étudie pas, comptant seulement sur « la topographie (zone en déblai) et la conservation de zones boisées [que l’e projet détruit sur 3,7 ha!] (pour) réduire la dispersion des polluants atmosphériques »

Votre arrêté ne reprend pas les recommandations de la commissaire-enquêtrice formulées dans son avis du 25 novembre 2022 :

« – mise en place d’un comité technique de suivi des mesures de compensation relatives aux cours d’eau composé, entre autre, de représentants du SAGE (…) de l’Office français de la biodiversité et du Conseil départemental du Morbihan.- réaliser un suivi de la qualité de l’air,

– créer, en lien avec la commune, un comité local de suivi, comme le Département s’y est engagé. Pourront être examinés par ce comité le suivi de la qualité de l’air et du bruit, la mise en place des protections acoustiques d’ores et déjà prévues, voire additionnelles (écrans bas), le suivi des mesures environnementales ainsi que la recherche de parcelles à boiser afin d’améliorer encore la compensation boisements sur le territoire communal. Les modalités de fonctionnement ainsi que le canal d’information des riverains et des associations locales rentent à affiner»

Des 3 recommandations, vous n’en conservez qu’une, la 1ère et élargissant son champ d’action aux zones humides et aux espèces protégées.

Mais :

Aucun suivi de la qualité de l’air n’est prévu. Est-ce parce que vous craignez les résultats ?

Aucun comité local de suivi n’est créé. Le comité que vous proposez, présidé par vous-même, « composé, entre autres, de représentants du SAGE Blavet, de la police de l’eau (DDTM et OFB) et du Conseil départemental du Morbihan » n’est pas un conseil local. La commune n’est même pas citée parmi les membres de droit. Pas non plus de représentants des associations environnementales ou des riverains. Ils sont pourtant les premiers concernés par un chantier sur leur commune et qui va impacter leur vie quotidienne. Cette absence de transparence, cet entre-soi se retrouvent dans le fait que votre arrêté n’est même pas publié sur le site internet de la préfecture dans le dossier « enquêtes publiques » !

La vocation de ce comité à dominante technocratique est de vérifier l’application des mesures environnementales, pas de répondre aux interrogations des Caudanais (donc rien sur le bruit, les particules fines, l’impact éventuel sur la santé des riverains).

Cette approche est profondément insuffisante sur le plan démocratique. Elle est aussi dangereuse car cette absence de dialogue citoyen ouvre la porte à tous les soupçons et interrogations.

Nous demandons donc la création d’un comité local et souhaitons y participer.

Parce que votre arrêté va à l’encontre des impératifs d’amoindrir le déréglement climatique, de défendre la biodiversité, de protéger la santé des populations, d’associer les citoyens aux décisions qui les concernent, alors que ces impératifs sont présentés comme prioritaires par les pouvoirs publics eux-mêmes, nous le contestons et formulons un recours gracieux.

Veuillez agréer, Monsieur le préfet, nos respectueuses salutations.

Consulter le dossier sur le site de la préfecture